De
leurs plumes acérées, Esope ou Jean de La Fontaine en auraient assurément
extrait une acide fable dont la probable morale eût été : «La ruse la mieux
ourdie/ Peut nuire à son inventeur/Et souvent la [supercherie]/ Retourne à son
auteur » (1).
A peine découverte, l’Amazonie a engendré une multitude de mythes : femmes guerrières, les Amazones, au sein amputé pour mieux bander leur arc, l’Eldorado («le Doré»), prince introuvable qui s’immergeait, le corps enduit de poussière d’or, tous les ans dans un lac en hommage au Soleil, acéphales, êtres sans tête ayant les yeux sur les pectoraux, le nez au milieu du thorax, la bouche un peu au-dessus du nombril et les cheveux sur le dos, géants trois fois plus grands que le commun des mortels, rois blancs adoptés et vénérés par des peuplades indigènes emplumées, mystérieuses villes fortifiées dont, pour l’instant, on n’a toujours pas trouvé le moindre vestige, Indiens blancs et blonds survivants d’un hypothétique naufrage, ruines de cités monumentales de pierre enfouies au cœur de la jungle bâties par les rescapés de l’Atlantide, et, dernier avatar à ce jour de cette série non exhaustive, la tribu inconnue vivant cachée au plus profond de la jungle.
Le
30 mai dernier (2008),
des photos attestant de la découverte inopinée de l’une d’elles firent le tour
du monde.
http://bresil-indigene.blogspot.com/2008/08/tribu-decouverte-au-bresil.html
http://www.20minutes.fr/article/234142/Monde-Une-tribu-indienne-isolee-photographiee-pres-de-la-frontiere-peruvienne.php
http://www.20minutes.fr/article/234142/Monde-Une-tribu-indienne-isolee-photographiee-pres-de-la-frontiere-peruvienne.php
L’ébahissement fut universel. Ainsi, il existait encore dans les franges de notre planète des êtres qui avaient échappé au rouleau compresseur de la société occidentale.
Cependant,
la nouvelle laissa sceptiques tous ceux qui s’intéressent, avec sérieux, au
sort inexorable de l’ultime grande forêt tropicale, à savoir sa lente et
implacable destruction. Car il était acquis
depuis la fin des années 1980 que de tribus inconnues, il n’en existait point.
La confirmation de ce doute ne tarda guère.
Le jour même, acculé par un journaliste, Felix da Silva, du site d’informations espagnol Soitu.es, l’auteur des clichés, un fonctionnaire de la Funai, l’agence gouvernementale brésilienne de protection des populations indigènes, Juan Carlos Meirelles Junior, spécialiste des groupes indiens dits «isolés» ou «non-contactés», convenait que la tribu en question était connue tout bonnement depuis 1910.
Le jour même, acculé par un journaliste, Felix da Silva, du site d’informations espagnol Soitu.es, l’auteur des clichés, un fonctionnaire de la Funai, l’agence gouvernementale brésilienne de protection des populations indigènes, Juan Carlos Meirelles Junior, spécialiste des groupes indiens dits «isolés» ou «non-contactés», convenait que la tribu en question était connue tout bonnement depuis 1910.
(1)
La Fontaine,«La Grenouille et le Rat».La citation exacte est : «et souvent la
perfidie/ Retourne à son auteur».
Au
demeurant, pour la localiser du haut de son Cessna Skylane dans la touffeur de
la jungle, contrairement à ce qu’il avait suggéré, il n’avait pas rencontré de
grandes difficultés puisqu’une carte, consultable depuis des mois sur le site
de la Funai, donne son emplacement exact, sur la rive gauche de la rivière
Envira, dans l’Etat d’Acre, à une cinquantaine de kilomètres au nord de la frontière
péruvienne. Qui plus est, il était, lui-même,
personnellement chargé de son observation et protection depuis vingt ans.
Pourtant, cela ne l’avait pas empêché la veille de soutenir que cette tribu
était une tribu «péruvienne» menacée «par l’exploitation illégale de la forêt»
dans «son pays», etqui n’avait pas eu d’autre ressource que de fuir en
territoire brésilien.
Un peu plus de trois semaines après, The
Guardian revenait dans son supplément hebdomadaire, The Observer, à la charge,
obligeant Survival International, une ONG anglaise, à l’origine de la diffusion
mondiale de ces photos dont l’une montre deux Indiens sur le point de décocher
une flèche en direction de l’avion qui les photographie, à s’expliquer sur ce
qui s’imposait dorénavant comme une grossière
supercherie.
Elle répliquait en affirmant qu’elle
n’avait jamais prétendu qu’il s’agissait d’une tribu «inconnue». Il faut lui en donner
acte mais, elle aussi, elle doit convenir que la formulation de son communiqué
qui accompagnait les photos induisait le malentendu. Voici ce qu’écrivait
Survival : «Des Indiens parmi les derniers groupes isolés au monde ont été
repérés et photographiés par un avion […].»
Les derniers
Dans ce contexte, le sens de repérer n’est pas loin d’être synonyme de trouver ou de découvrir, et isolés suggère, à notre imaginaire de «civilisés», presque automatiquement inconnus.
Les deux ultimes tribus réellement
inconnues ont été découvertes en 1988, en Colombie, les Nukak Maku, et en 1989,
au Brésil, les Zo’e, dont la caractéristique est d’avoir la lèvre inférieure
percée par un gros morceau de bois cylindrique.
Les ethnologues Jorge Restrepo et Dominique Gallois, qui furent dépêchés par les autorités de leur pays pour les étudier, constatèrent que ces Indiens inconnus avaient déjà eu des contacts plus ou moins épisodiques, depuis longtemps, avec des missionnaires évangéliques de l’église protestante américaine New Tribes Mission, très active en Amazonie, qui avaient jalousement gardé le secret leur découverte.
Concernant les Nukak
Maku, leur rencontre avec «l’homme blanc» a
été antérieure à l’arrivée de ces missionnaires. Les premiers «civilisés»
qu’ils ont vus, sans doute au début des années 1960, ont été des guérilleros,
leur territoire se trouvant au cœur de ce qui allait devenir le sanctuaire des
Farc, dans le département de Guaviare, là où a été détenue Ingrid Betancourt. Estimés à quelque
trois cents individus, la moitié d’entre eux, chassés par la guerre,
croupissent dans un campement appelé Aguabonita(«eau belle») dans la banlieue
du chef-lieu du département San José de Guaviare, à 400 km au sud-est de Bogotá.
Ricardo
Uztarroz ancien correspondant de l’AFP au Brésil et au Pérou.
QUOTIDIEN : vendredi 29 août 2008
QUOTIDIEN : vendredi 29 août 2008
De leurs plumes acérées, Esope ou Jean de La Fontaine en auraient assurément extrait une acide fable dont la probable morale eût été : «La ruse la mieux ourdie/ Peut nuire à son inventeur/Et souvent la [supercherie]/ Retourne à son auteur » (1).
A peine découverte, l’Amazonie a engendré une multitude de mythes : femmes guerrières, les Amazones, au sein amputé pour mieux bander leur arc, l’Eldorado («le Doré»), prince introuvable qui s’immergeait, le corps enduit de poussière d’or, tous les ans dans un lac en hommage au Soleil, acéphales, êtres sans tête ayant les yeux sur les pectoraux, le nez au milieu du thorax, la bouche un peu au-dessus du nombril et les cheveux sur le dos, géants trois fois plus grands que le commun des mortels, rois blancs adoptés et vénérés par des peuplades indigènes emplumées, mystérieuses villes fortifiées dont, pour l’instant, on n’a toujours pas trouvé le moindre vestige, Indiens blancs et blonds survivants d’un hypothétique naufrage, ruines de cités monumentales de pierre enfouies au cœur de la jungle bâties par les rescapés de l’Atlantide, et, dernier avatar à ce jour de cette série non exhaustive, la tribu inconnue vivant cachée au plus profond de la jungle.
Le
30 mai dernier (2008),
des photos attestant de la découverte inopinée de l’une d’elles firent le tour
du monde.
http://bresil-indigene.blogspot.com/2008/08/tribu-decouverte-au-bresil.html
http://www.20minutes.fr/article/234142/Monde-Une-tribu-indienne-isolee-photographiee-pres-de-la-frontiere-peruvienne.php
http://www.20minutes.fr/article/234142/Monde-Une-tribu-indienne-isolee-photographiee-pres-de-la-frontiere-peruvienne.php
L’ébahissement fut universel. Ainsi, il existait encore dans les franges de notre planète des êtres qui avaient échappé au rouleau compresseur de la société occidentale.
Cependant,
la nouvelle laissa sceptiques tous ceux qui s’intéressent, avec sérieux, au
sort inexorable de l’ultime grande forêt tropicale, à savoir sa lente et
implacable destruction. Car il était acquis
depuis la fin des années 1980 que de tribus inconnues, il n’en existait point.
La confirmation de ce doute ne tarda guère.
Le jour même, acculé par un journaliste, Felix da Silva, du site d’informations espagnol Soitu.es, l’auteur des clichés, un fonctionnaire de la Funai, l’agence gouvernementale brésilienne de protection des populations indigènes, Juan Carlos Meirelles Junior, spécialiste des groupes indiens dits «isolés» ou «non-contactés», convenait que la tribu en question était connue tout bonnement depuis 1910.
Le jour même, acculé par un journaliste, Felix da Silva, du site d’informations espagnol Soitu.es, l’auteur des clichés, un fonctionnaire de la Funai, l’agence gouvernementale brésilienne de protection des populations indigènes, Juan Carlos Meirelles Junior, spécialiste des groupes indiens dits «isolés» ou «non-contactés», convenait que la tribu en question était connue tout bonnement depuis 1910.
(1)
La Fontaine,«La Grenouille et le Rat».La citation exacte est : «et souvent la
perfidie/ Retourne à son auteur».
Grossière supercherie
Au
demeurant, pour la localiser du haut de son Cessna Skylane dans la touffeur de
la jungle, contrairement à ce qu’il avait suggéré, il n’avait pas rencontré de
grandes difficultés puisqu’une carte, consultable depuis des mois sur le site
de la Funai, donne son emplacement exact, sur la rive gauche de la rivière
Envira, dans l’Etat d’Acre, à une cinquantaine de kilomètres au nord de la
frontière péruvienne. Qui plus est, il
était, lui-même, personnellement chargé de son observation et protection depuis
vingt ans. Pourtant, cela ne l’avait pas empêché la veille de soutenir que
cette tribu était une tribu «péruvienne» menacée «par l’exploitation illégale
de la forêt» dans «son pays», etqui n’avait pas eu d’autre ressource que de
fuir en territoire brésilien.
Un peu plus de trois semaines après, The
Guardian revenait dans son supplément hebdomadaire, The Observer, à la charge,
obligeant Survival International, une ONG anglaise, à l’origine de la diffusion
mondiale de ces photos dont l’une montre deux Indiens sur le point de décocher
une flèche en direction de l’avion qui les photographie, à s’expliquer sur ce
qui s’imposait dorénavant comme une grossière
supercherie.
Elle répliquait en affirmant qu’elle
n’avait jamais prétendu qu’il s’agissait d’une tribu «inconnue». Il faut lui en donner
acte mais, elle aussi, elle doit convenir que la formulation de son communiqué
qui accompagnait les photos induisait le malentendu. Voici ce qu’écrivait
Survival : «Des Indiens parmi les derniers groupes isolés au monde ont été
repérés et photographiés par un avion […].»
Source: Libération http://www.liberation.fr/rebonds/348167.FR.php
Les derniers
Dans ce contexte, le sens de repérer n’est pas loin d’être synonyme de trouver ou de découvrir, et isolés suggère, à notre imaginaire de «civilisés», presque automatiquement inconnus.
Les deux ultimes tribus réellement
inconnues ont été découvertes en 1988, en Colombie, les Nukak Maku, et en 1989,
au Brésil, les Zo’e, dont la caractéristique est d’avoir la lèvre inférieure
percée par un gros morceau de bois cylindrique.
Les ethnologues Jorge Restrepo et Dominique Gallois, qui furent dépêchés par les autorités de leur pays pour les étudier, constatèrent que ces Indiens inconnus avaient déjà eu des contacts plus ou moins épisodiques, depuis longtemps, avec des missionnaires évangéliques de l’église protestante américaine New Tribes Mission, très active en Amazonie, qui avaient jalousement gardé le secret leur découverte.
Concernant les Nukak
Maku, leur rencontre avec «l’homme blanc» a
été antérieure à l’arrivée de ces missionnaires. Les premiers «civilisés» qu’ils
ont vus, sans doute au début des années 1960, ont été des guérilleros, leur
territoire se trouvant au cœur de ce qui allait devenir le sanctuaire des Farc,
dans le département de Guaviare, là où a été détenue Ingrid Betancourt. Estimés à quelque
trois cents individus, la moitié d’entre eux, chassés par la guerre,
croupissent dans un campement appelé Aguabonita(«eau belle») dans la banlieue
du chef-lieu du département San José de Guaviare, à 400 km au sud-est de Bogotá.
Serait-il vraiment impossible ?
Continuer à imaginer de nos jours que des êtres humains puissent vivre cachés au plus profond d’une jungle n’a pas le moindre fondement car, au plus profond de la jungle, la vie humaine y est impossible, tout simplement parce qu’on y meurt de faim et de soif.
Au cœur de l’Amazonie, c’est le règne de
la pourriture, de l’humus, des insectes, de quelques reptiles. La vie humaine
n’y est possible que sur les berges des rivières. Or, celles-ci avaient toutes
été explorées à la fin des années 1950 et, par la même occasion, à l’exception
des Nukak Maku et des Zo’e, toutes les tribus avaient été dûment recensées.
Quant aux groupes dits «isolés», comme
le souligne l’anthropologue mexicain Rodolfo Stavenhagen, «ce ne sont pas des
populations non contactées par la civilisation mais des groupes qui ont fui ce
contact et renoué avec leur vie ancestrale». Souvent pour des raisons de
survie, et notamment de consanguinité, tôt ou tard, ces Indiens isolés
rejoignent le tronc principal de leur tribu pour, peut-être, s’en séparer une
nouvelle fois plus tard.
Les conditions de vie en Amazonie
rendent impossible les grosses concentrations humaines. Ainsi, les Xavantes,
qui sont à peu près 10 000, se répartissent en quelque soixante-dix petits
groupes d’une centaine d’individus, éparpillés sur un vaste territoire, donc
forcément isolés les uns des autres. En fait, l’isolement dans les
civilisations indiennes d’Amazonie n’est pas l’exception, mais la règle.
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